En Province du Luxembourg et au cœur de la Gaume, le pâtissier-chocolatier devenu cacaofévier, François Deremiens, nous a accordé un peu, voire même beaucoup, de son précieux temps. Histoire de nous faire découvrir sa belle activité et son brillant parcours professionnels. Un parcours qu’il a aussi riche que singulier, aussi passionné que passionnant. Rencontre !
A l’origine, François Deremiens n’était pas du tout destiné à une telle carrière. Sa formation initiale l’entraîna à être, dans un premier temps, instituteur primaire. La vie et la passion en ont décidé bien autrement. Et c’est tant mieux pour celui qui, aujourd’hui, est le plus emblématique chocolatier du sud du pays.
De quoi est fait votre parcours pour le moins singulier ?
Mes parents ne voulaient pas que je fasse le métier de pâtissier car les études supérieures étaient, à leurs yeux, une garantie de sécurité professionnelle. Ta passion tu la feras plus tard, me disaient-ils.
J’ai donc été instituteur primaire puis, par la suite, j’ai suivi des cours du soir en pâtisserie à l’IFAPME. Le samedi je m’exerçais à la pâtisserie, ce qui faisait plaisir à la famille et aux copains. Puis, je construis un petit atelier pour ne plus mettre le bordel dans la cuisine familiale ! A 21 ans, je pars travailler aux Etats-Unis. Mais je constate vite que l’on n’est jamais plus patriote que lorsque l’on est loin de chez soi. Et je reviens en Belgique !
Votre dynamisme n’a d’égale que votre détermination à … devenir pâtissier !
En effet. Après les Etats-Unis, commence alors mon vrai parcours en chocolaterie-pâtisserie.
En 2005, je transforme une étable en atelier. Les belles histoires démarrent dans une étable ! Sauf qu’ici, il n’y a pas de nouveau-né !
Je débute alors ma nouvelle activité professionnelle avec un atelier de 18 m2 et 4 m2 de magasin.
Ensuite, je construis 2 niveaux supplémentaires pour atteindre 400 m2. Mais, faute d’argent, dans un premier temps je n’utilise qu’un des deux ateliers.
Après l’été 2006 et 3 semaines de tour de France, je me fais la réflexion que si un jour j’embauche du personnel, il faudra le faire travailler toute l’année. J’élargi alors ma gamme avec de la pâtisserie fine mais uniquement sur commande. Cela me permettant de proposer une carte plus créative. Une nouvelle boutique de 45 m2 verra le jour en 2008.
Difficiles vos débuts au bout, non pas du monde, mais néanmoins de la Belgique ?
Au départ tout le monde me prend pour un fou : créer un atelier au fin fond de nulle part n’était vraiment pas gagné d’avance. Mais peu à peu, je trouve du travail. D’abord à un niveau local en fournissant les restaurants, épiceries fines, traiteurs, banquets. Ceci avec mes pâtisseries et glaces complétées par quelques macarons.
Votre entreprise en grandissant, c’est aussi le secteur de l’emploi local qui en profite
Aujourd’hui, en plus des produits de la manufacture de chocolat et des pâtisseries fines, je propose 40 sortes de macarons. J’ai donc dû embaucher davantage de personnel au fur et à mesure que grandissait l’entreprise. Une dizaine de personnes travaillent avec moi toute l’année.
En se faisant un nom, c‘est de moins en moins compliqué de trouver du personnel – les jeunes aiment apprendre des choses, des techniques – les profs aiment envoyer des élèves chez nous.
J’ai une belle équipe assez créative avec, notamment, un chef d’atelier qui est ici depuis 10 ans. Je lui ai d’ailleurs passé la main sur la création. Pour ma part, j’assure la gestion d’entreprise. Cela fait partie du développement naturel d’une entreprise. Je n’ai jamais voulu ouvrir des boutiques à gauche et à droite et ne plus parvenir à être présent au quotidien. Je veux toujours être le patron qui peut, sur place, répondre aux questions et s’impliquer dans le travail. Quand on est patron, on est ainsi aux commandes de son navire tous les jours !
Où trouvez-vous votre inspiration pour créer ?
Au début on cherche, on regarde ce qui se fait ailleurs à Paris, en Espagne, en Belgique. On a ses mentors. Personnellement, je n’ai jamais fait une grande maison comme d’autres. J’ai tout de suite été sur le terrain en arrêtant l’enseignement en octobre 2005 et en ouvrant mon atelier en décembre de la même année. Depuis longtemps déjà, on avance juste en interne en se consultant mutuellement. Je suis toujours entouré de la même équipe car ceux qui conviennent sont là depuis des années.
Qu’en est-il de votre passion, devenue profession, pour le chocolat ?
Il y a bien longtemps, j’ai dit à mes parents qu’un jour je serais à 100 % autonome et que je ferais mon propre cacao. Il y a 15 ans il n’y avait guère de chocolatiers en Province de Luxembourg et aucun fabriquant. Mais si aujourd’hui, le « bean to bar » est devenu plus courant, un peu partout dans le pays, je constate malheureusement que pour certains c’est juste du show et c’est dommage.
Ici, dès le départ, on s’est dit le jour où on le fait on le fait bien, ou pas du tout ! On s’est tout de suite équipé de machines de production performantes pour avoir un niveau qualitatif et professionnel sur les produits finis.
Une difficulté technique dominante ?
Si l’on veut un chocolat pour le moulage et l’enrobage, c’est plus complexe. C’était cet aspect, le plus pointu de la fabrication, qui m’intéressait. Une technique pour laquelle il est nécessaire d’avoir les bases, de bien connaître toutes les étapes et les diverses difficultés. Par exemple, si votre beurre de cacao à plus de 30°C – son point de fusion étant à 34,6°C – il est impossible à travailler. Si cette température est dépassée, le chocolat va blanchir.
Qu’est-ce qui fait l’originalité de vos gammes de chocolat ?
Nous cherchons en permanence à innover, à trouver de nouvelles saveurs.
Par exemple, une de nos premières associations a été le chocolat caramel et la bière d’Orval. D’ailleurs, entre les moines de l’Abbaye d’Orval et nous il n’y a que … les sangliers ! Cela coulait donc de source. (rire)
Ensuite et plus récemment, il y a eu le grué de cacao intégré à la Bière Vaurien, de la Brasserie du Château de Grandvoir (Neufchâteau). Le brasseur est venu vers moi car nous avons toutes les machines nécessaires pour faire du grué de cacao. Ce qu’il faut c’est infuser la fève au maltage. Quelques essais plus tard, on faisait la bière. Elle pourrait être plus marquée en cacao. Mais, c’est ça l’artisanat : on ne trouve pas toujours tout de suite ce que l’on souhaite !
Vos chocolats aux fruits et aux fleurs comme votre praliné qui a été médaillé à l’International Chocolate Awards sont aussi très appréciés. Mais pourquoi n’y a-t-il pas de chocolat aux épices dans votre gamme ?
Des confrères proches géographiquement les travaillaient déjà, donc je suis parti sur des fruits et des fleurs. Mais quel que soit l’ingrédient supplémentaire, il faut faire attention car ce qui doit sortir, c’est le goût du chocolat et non du produit intégré. Les fruits et les fleurs donnent un panel d’associations très large et le terroir est très important. Quand on peut le travailler on le fait systématiquement.
Cependant quand, on trouve les meilleurs ingrédients ailleurs, on se tourne vers l’importation. Comme pour les noisettes de notre praliné qui viennent directement d’un agriculteur du Piémont (Italie). Un très bon praliné est un aspect très important pour une chocolaterie. Dans notre praliné nous mettons aussi du chanvre. C’est une culture traditionnelle en Ardenne. Il se cultive bien et est principalement utilisé pour sa paille. Il donne des grains oléagineux ce qui est très bien pour le praliné.
Ainsi, nous avons reçu 2 médailles de bronze. Une en 2016 pour le caramel praliné à L’international Chocolate Award (Londres) et une médaille de bronze à la Coupe d’Europe en « Bean to bar ». Nous avons aussi reçu le Prix Coup de cœur du jury au concours de « La Vitrine de l’Artisan » en 2019. Je n’aime pas me mettre en avant mais cela nous fait plaisir, comme à nos clients et cela nous permet de voir où nous nous situons dans le métier.
Parallèlement, nous faisons aussi du chocolat au tabac. Nous sommes à proximité de la Semois, connue pour son tabac. Le tabac est intégré de manière légère au chocolat. On utilise la plante naturelle en infusion.
Quels sont vos projets, vos prochaines créations ou collaborations ?
J’envisage une collaboration avec le chef de La Distillerie, René Mathieu. Celui-ci, est le Chef de l’Année 2021 au Gault&Millau Luxembourg (Château de Bourglinster) et sa cuisine est largement spécialisée dans le monde végétal et axée, en particulier, sur les plantes sauvages.
Par exemple, nous travaillerons l’association de chocolat avec une plante sauvage et un agrume. J’aime la complexité et cela représentera un vrai challenge.
J’aimerais aussi envisager d’autres collaborations avec d’autres chefs, comme Tristan Martin qui est le chef du Château de Grandvoir où se brasse aussi la bière Vaurien.
Et puis, j’envisage également l’édition d’un livre personnel et … décalé comme tout le reste !! Je m’en fou d’un livre avec des recettes come tout le monde ce serait nourrir mon égo ! Je préfèrerais faire découvrir le chocolat aux enfants dans un but original et pédagogique.
Le développement à l’international est aussi un projet sur-mesure que j’étudie pour de grands hôtels à travers le monde. Mais là, il faudra patienter et attendre que la crise sanitaire soit derrière nous !
Ce qui n’empêche, qu’en ces temps complexes, nous sommes dans un secteur et une région qui nous permettent de très bien travailler et de continuer à vivre notre passion !
Atelier François Deremiens – Voie d’Orval, 26 – 6810 Prouvy (Chiny) – T +32(0)61 50 29 79
Manufacture François Deremiens – Rue du Faing, 6 – 6810 Jamoigne
© Photos : François Deremiens & (portrait) Alexandre Bibaut